Les dangers de la post-prod, les pièges à éviter.
Je crois que c’était pendant les Jeux Olympiques. Le staff de Nikon était en ébullition parce que la marque jaune apportait son soutien aux photographes présents sur cet événement sportif mondial de première importance. Tout Nikon Pro était sur le pied de guerre. J’avais eu l’occasion d’en parler avec eux et naturellement j’imaginais le stress maximum des photographes accrédités pour l’évènement. On parlait de matos, de technique, d’optiques et j’avais naïvement demandé si les gars bossaient en RAW. Mon interlocuteur s’était esclaffé : « En RAW ? Tu rigoles ou quoi ? Tu crois que les gars ont le temps de faire mumuse en post prod ? » En fait mon interlocuteur m’avait dit que la plupart des photographes comptaient d’abord sur leurs fichiers jpeg, ajoutant, le regard malicieux : « C’est aussi pour ça qu’ils bossent avec du haut de gamme Nikon ! Pour être sûr que ça sera bon et que ça sera bon tout de suite. » Bon tout de suite. C’est un truc qui m’est resté en tête. Si je vous parle de ça aujourd’hui, c’est parce que je vois de plus en plus passer des photos post-prodées de manière très outrancière et que ça, ça me choque. Vraiment. On a le sentiment, à voir ce genre de photos qui ont complètement perdues leur véritable nature d’image censées refléter la réalité, que leur auteur (désolé, je peine à les désigner sous le vocable photographe), à l’image de David Vincent, a cherché un raccourci que jamais il n’a trouvé. Car il faut manquer singulièrement de bon sens, de bon goût et d’œil pour oser martyriser une image à ce point.
Avec les outils d’aujourd’hui, c’est facile. Très facile. Prenez Lightroom, au hasard. Voilà un bel outil, capable d’apporter une aide précieuse au photographe. Lightroom, c’est comme un barbecue. Si vous savez cuisiner, il vous permet de transcender vos talents. Dans le cas contraire, vous allez vous brûler les doigts et pas que. Et quand on voit certains clichés, c’est exactement ce qu’on se dit. Un exemple. Les outils de présence, dans Lightroom, permettent de jouer sur les tons moyens. Un soupçon de clarté ça peut apporter un peu de peps à l’image, idem pour la vibrance ou la saturation. Le problème, avec ces outils, c’est quand on pousse les potards à fond, qu’on y va franco, dans la démesure, mieux encore ou pire, quand on le revendique. Comme si on avait inventé un style, qu’on en fasse sa signature. Quand je vois ce genre d’images, saturées à outrance, j’ai juste envie de taper du poing sur la table et dire non, c’est pas ça la photographie. Le danger, finalement, en appliquant ce genre de méthode, c’est que, à terme, toutes vos photographies se ressemblent. Et en photographie c’est bien connu, la seule méthode c’est qu’il n’existe aucune méthode. Penser qu’on va faire d’un cliché moche, en couleur, une beauté en noir et blanc, simplement en poussant les contrastes et en jouant à l’apprenti-sorcier dans Lightroom, ça ne fonctionne pas. Penser qu’on va traiter massivement des clichés en leur appliquant un preset, virage sépia, contraste 50 et l’affaire est dans le sac, si ça fonctionnait, ça se saurait. Quant à la bidouille ultime, saturation de couleurs, présence, saturation, il suffit d’ouvrir ses yeux pour réaliser une chose. C’est laid.
Je me suis demandé ce qui pouvait pousser des amateurs de photo à martyriser leurs clichés à ce point. Pour exister peut-être ? Pour accumuler des likes, pour être populaire, grand bien leur fasse. Après tout, tant qu’il s’agit de ses images, c’est à chacun de voir. En revanche, derrière ces post-prods dégueulasses, ces images outragées, ces images brisées, ces images martyrisées, insultées et rarement libérées, il y a un constat. Celui évoqué par un photographe avec qui je parlais de ce phénomène qui se répand comme la vérole sur le monde. Et son analyse est pertinente. « Là, on est plus dans la photographie. On est dans la prise d’images en essayant d’en faire quelque chose de graphique. Je pense que tout cela masque surtout une absence de totale maîtrise de son matériel photo.» Je crois que je n’aurais pas dit mieux.
Ce week-end, je travaillais sur mes archives. J’ai retrouvé un concert qui n’avait pas été dérushé entièrement, Miles Kane aux Vieilles Charrues en 2011. J’ai regardé les clichés, j’ai sélectionné ceux que je voulais archiver sur mon cloud hubiC et je les ai exportés, comme ça, brut de pomme sans rien toucher. Pas de crop, pas d’ajout, pas de retrait. Après tout, un beau plan de feux, une belle scène, un D3s que je connais bien (putain de reflex), une optique fantastique (Nikkor 70-200mm f/2.8 VR II), pourquoi voudriez-vous que je me casse le cul à post-proder pendant deux plombes un cliché qui n’en n’a pas besoin ? Voilà je vous laisse réfléchir là-dessus, ça sera ma conclusion et mon conseil du jour. Apprenez d’abord à maîtriser votre matos et quand vous en serez content, gardez-le et faites avec. Mettez donc plutôt vos gwennegs (vos sous) dans de belles optiques. Soignez votre cadrage, l’exposition. Faites en sorte que ce que vous voyez à l’écran soit joli. Soyez patient. Attendez la bonne lumière, c’est pas parce que c’est du numérique qu’il faut shooter à tout va. Faites-vous plaisir et surtout, surtout ! Ne comptez pas sur la post-prod pour rattraper des réglages hasardeux. Vous êtes seul maître à bord et souvenez-vous. Devant votre écran, personne ne vous entendra hurler.
• photo Miles Kane au festival des Vieilles Charrues, juillet 2011 (crédit photo Hervé LE GALL)
Patrice dit
Tellement vrai !!
Je me suis régalé a le lire.
D’ailleurs, je crois que c’est le plus beau et le meileur article que t’ais jamais écrit !
Attention je ne mets pas les autres articles en dessous, je mets juste celui la au dessus, loin au dessus 😉